Comment est né ce projet ?
L'idée de relever ce défi est née du constat que je ne m’étais jamais investi pleinement dans une grande voie à mon niveau maximal. J'avais précédemment abordé des projets avec une journée ou deux de travail, et cela fonctionnait bien. Alors, je me suis dit que si je devais m'engager davantage dans une grande voie, autant viser l'extrême, potentiellement l'une des voies les plus difficiles que je pouvais essayer en Europe sans aller trop loin.
Pour étayer cette décision, j'ai minutieusement examiné les cotations, lu tous les articles disponibles sur la voie, et même consulté Cedric Lachat (qui a réalisé Wogü en 2020). Bien sûr, au départ, je me suis interrogé sur l'ambition d’un tel objectif. Le caractère mythique de la voie, associé au fait qu'elle n'avait été réussie que par des légendes de l'escalade, a également suscité ma curiosité. Je voulais savoir où je me situais par rapport à ces grands noms de l'escalade et repousser mes propres limites.
Quelle a été ta préparation pour l’ascension de Wogü à la journée et comment as-tu géré d’un point de vue physique et mentale ?
Pour me préparer à l’ascension, cet été, malgré une forte douleur à un doigt, j’étais déjà en excellente forme, ayant suivi un entraînement intensif pour aborder un projet exigeant (Le Cadre 9a). Mon niveau de forme était donc déjà élevé, ce qui correspondait bien aux caractéristiques de la voie, très axée sur les doigts, ce qui est justement mon style.
En septembre, j’ai repris un mois d’entraînement avec mon coach, consolidant ainsi ma préparation et me permettant d’arriver dans les meilleures conditions physiques possibles pour affronter l’ascension.
Le jour de l’ascension, j’ai abordé ma grimpe pas à pas, en me concentrant sur chaque longueur. C’est cette approche qui m’a permis de repousser mes limites. À chaque étape, je me concentrais sur une longueur à la fois, comme si c’était la seule à gravir ce jour-là, et ainsi de suite. Chaque fois que je chutais, je me disais simplement : « Ce n’est pas grave… allez, tu réessayes ». Étant donné le nombre de chutes que j’ai essuyées, c’est devenu ma phrase-clé pour la journée, haha !
Sur le plan physique, c’était extrêmement exigeant, mais dans ma tête, c’était une bataille à laquelle rien ne pouvait me faire renoncer (c’est une façon de parler, bien sûr, car en réalité, il y avait bien des obstacles potentiels).
Quels chaussons as-tu utilisé sur cette grande voie et pourquoi ?
Au cours de cette voie, j’ai opté pour l’utilisation de trois paires de chaussons différentes. Les deux premières longueurs, un peu plus faciles, ont été abordées avec des SCARPA VAPOR V, dans une taille (42) légèrement plus grande pour économiser pieds et fatigue.
Pour la longueur clé en 8C, caractérisée par un crux raide et nécessitant une grande confiance dans les pieds, j’ai privilégié les SCARPA INSTINCT VSR, les trouvant particulièrement adaptés à cette section exigeante.
Dans une longueur particulièrement complexe, une dalle verticale et technique en 8b+, j’ai utilisé à nouveau les SCARPA VAPOR V (en taille 41.5). Ces chaussons ont été essentiels pour des adhérences aux limites de l’humainement possible et des micro réglettes de quelques millimètres, exigeant une confiance extrême en ses pieds. Par la suite, je suis retourné aux SCARPA INSTINCT VSR, car c’était avec eux que je me sentais le plus en confiance. Le choix au sein de la gamme Scarpa a très nettement facilité ma recherche de chaussons adaptés à ce projet exigeant.
Quelle est ton meilleur souvenir de cette journée ?
Mon meilleur souvenir de cette journée réside dans le véritable travail d’équipe nécessaire pour la réussite de ce projet. Lorsque l’on dit que c’est grâce à Tristan et Damien que je suis arrivé au sommet, c’est une vérité absolue. Deux moments clés ont particulièrement marqué cette collaboration. Dans le 8B du début, j’ai lâché trois essais dans le pas de bloc initial, incapable de le franchir. Tristan a alors remarqué une petite erreur de méthode (un placement de paume spécifique) que la fatigue avait induite. Grâce à ses conseils, j’ai réussi à passer le pas de bloc et à enchaîner la longueur.
Une situation similaire s’est présentée dans la dernière longueur, la 7, qui m’a posé le plus de problèmes. À la fin du pas de bloc, j’avais adopté une méthode avec un talon spécifique, mais la fatigue m’empêchait de valider ce passage. C’est là que Tristan m’a suggéré une autre solution à laquelle nous avions déjà réfléchi auparavant. Cependant, avec la fatigue et le manque de lucidité, je n’y avais pas pensé. Ses conseils ont été déterminants pour le passage du pas de bloc.
A l’inverse, quel a été le moment le plus difficile dans cette ascension ?
Le moment le plus difficile de cette ascension a été la longueur numéro 7, un 8b+/c qui part sur une vire (heureusement d’ailleurs). J’ai consacré presque 2 heures à ce passage, tentant le pas de bloc du début qui était extrêmement difficile, mêlant force et endurance. La difficulté s’intensifiait, la nuit est tombée, j’ai continué à la frontale. Une partie de moi avait presque abandonné, mais une autre partie ne pouvait pas renoncer si près du sommet, car c’était la dernière longueur vraiment très difficile. Je savais que si je franchissais cette longueur, j’avais de fortes chances d’atteindre le sommet. Cela a été un combat intense avec moi-même, soutenu par Tristan et Damien qui n’ont jamais cessé de croire en moi et m’ont véritablement motivé dans ce moment difficile.
Quel est ton prochain défi / objectif ?
Mon prochain défi consiste à m’entraîner pour participer à quelques compétitions de glace cet hiver, comme je le fais habituellement. Cependant, je souhaite également consacrer du temps à l’alpinisme hivernal, avec notamment un beau projet à Chamonix dont je parlerai bientôt. De plus, une expédition en Himalaya est prévue pour l’été à venir.
Des anecdotes / commentaires à rajouter ?
Je tiens à souligner le rôle crucial de Damien, qui a contribué à la réussite de cette ascension en nous aidant avec le hissage et en assurant la logistique tout au long de la journée, tout en capturant de magnifiques photos. Un immense merci également à Tristan, qui m’a littéralement sauvé à deux reprises. Ses conseils techniques et idées de méthodes différentes ont été décisifs, surtout lorsque les approches que j’avais initialement adoptées étaient devenues inefficaces sous l’effet de la fatigue extrême. Sa connaissance approfondie de la voie, équivalente à la mienne, a été d’une aide précieuse.
* La méthode du tamponnoir, aussi appelée “spit drilling” en anglais, est une technique d’équipement des voies d’escalade. Elle consiste à percer un trou dans la roche à l’aide d’un tamponnoir, puis à insérer un goujon (spit) dans le trou. Ce goujon sert ensuite de point d’ancrage pour les grimpeurs, permettant de sécuriser la voie.